DAY#2, 3, 4, 5: la tempête
Récit de la tempête survenue fin mars 2019 au 69° parallèle, non loin de la frontière Suédo-Norvégienne.
Partie 2: l’ascension.
25 Mars. 0830. -12°C La plaine. Nous nous situons en fond de vallée à environ 14Km au nord d’Abisko, Suède. Troisième journée de marche en autonomie.
La nuit fût glaciale. Nous levons le camp après un copieux petit déjeuner constitué de galettes de pain sucré et d’une spécialité locale extrêmement nourrissante au goût rance à base de lait de chèvre, de protéine de lait de vache et de beurre dont je ne me rappelle plus le nom. Et puis un café. bien serré le café.
Le plan aujourd’hui est de rejoindre le plateau d’altitude situé plein nord flanqué entre deux crêtes abruptes en évitant les zones avalancheuses. Le danger est marqué selon les dernières informations météo et notre destination reculée, sauvage et entourée de pentes raides. Cela veut dire que nous savons que l’engagement de notre expédition monte d’un cran et qu’en cas de pépin, nous devrons nous débrouiller seuls. Le passage repéré la veille qui évite les pentes exposées se confirme. C’est décidé, c’est notre route, nous partons.
J’ouvre la marche, Vincent me suit de près. Le manteau neigeux semble délicat et agréable et j’aimerais qu’il puisse porter mes pas. En fait, j’enfonce jusqu’aux genoux et mes foulées contrastent avec la légèreté toute relative – si je ne puis dire fantasmée de notre piste blanche imaginaire. Mes pas se déroulent en 3 temps : 1) Je contracte mes fléchisseurs de hanche, lève la jambe et je pose mon pied à mi-course de mon extension maximale – pour ne pas tomber; l’inertie fait plonger la raquette à 20 cm sous la neige. Ensuite, j’exerce une force de traction en m’aidant de mes mollets et de mes quadriceps pour terminer de tasser la trace et stabiliser mon corps. C’est tout un exercice de proprioception. J’enfonce alors encore de 10 cm. En 3, je verrouille la position, bloque ma respiration un court instant, puis contracte les fléchisseurs de ma jambe opposée, et ainsi de suite. Je compte. 1, 2, 3. 1, 2, 3, 1, 2 et trois me répète-je inlassablement dans ma tête… mon rythme cardiaque accélère et se stabilise à 145 pulsations par minutes environ. A cette fréquence, nous évoluons à une allure de près de 2km/heures. C’est lent, oui. Mais n’oublions pas que nous devons nous ménager pour affronter en solitaire, un inconnu certain, d’éventuelles humeurs de la nature, le froid arctique, les caprices potentiels de nos corps et tout ce que nous n’avons pas imaginé. Nous traversons un petit lac gelé en direction de la montagne. Une ancienne trace de motoneige grimpe directement sur notre itinéraire. Cette découverte nous rassure. Notre analyse est correcte, de même que notre intuition. Je lève la tête. Le ciel est d’un bleu profond. Bleu roi à son sommet et se dégradant aux teintes turquoises et douces à l’horizon. Devant nous se dressent une succession de collines d’altitude bien dodues à forte proéminence et forment les plus hauts sommets de Suède. Leur surface est totalement blanche et lisse. On dirait de sœurs jumelles.
Les sœurs jumelles prisent au 150 mm sous les lumières crépusculaires
A mesure que nous progressons, les arbres disparaisse et laissent place à quelque rochers éparses recouverts de glace et de lichens. Notre ascension se passe bien. La trace que nous suivons m’est providentielle et facilite nettement le compte.
11h30 : le gps affiche l’altitude de 750m. nous atteignons le plateau d’altitude. Le vent de face qui frappe mon visage m’indique que le col n’est pas loin. Je me retourne, dépose mon sac et sort mon thermos. Bon dieu qu’il fait froid. Il doit faire -20°C à présent. J’attends Vincent qui s’était arrêté pour filmer et contemple la plaine en contrebas. Je repère le lac Abiskojaurestugorna, la petite forêt de bouleaux, notre lieu de bivouac de la veille. A ce moment précis, je respire la nature à plein poumons et je remercie le monde d’être aussi beau et de prendre soin de moi. Quelles ambiances splendides ! Mon imagination s’évade et je me retrouve quelque 30'000 ans plus tôt, aux temps de la grande glaciation…